Dans sa prise de position du 25 janvier 2021, le Conseil suisse des religions (CSR) recommande de rejeter l’initiative populaire au profit du contre-projet indirect du Conseil fédéral et du Parlement(1). Nous, signataires du présent communiqué, reconnaissons que le peuple devra se prononcer moins sur une question de sécurité que sur la place de l’islam politique et radical (salafiste, wahhabite et des Frères musulmans) dans notre société. Nous ne pouvons cependant pas appuyer la position du CSR qui nous paraît faire fausse route pour les raisons suivantes.
1. Sa prise de position n’évoque pas les raisons données par la tradition musulmane pour demander le voilement des femmes, un aspect fondamental pour bien comprendre les enjeux du débat. C’est à partir du Coran (ch. 24.30-31), que les savants musulmans ont élaboré la notion de « partie indécente du corps » que les croyants doivent cacher aux regards. Ils expliquent que chez l’homme, elle concerne la partie située entre le nombril et les genoux tandis que chez la femme musulmane libre, elle s’étend à l’ensemble du corps, à l’exception du visage et des mains.
2. Nous abondons dans le sens du CSR lorsqu’il insiste sur « l’interdiction de toute forme de discrimination », attitude que nous ne pouvons qu’approuver. Malheureusement, il semble lui échapper que le port du voile est justement un cas de discrimination. Les musulmans traditionalistes apprennent en effet aux femmes, dès leur enfance, que leur corps est impudique et honteux parce qu’il éveille chez l’homme des désirs coupables. Un tel enseignement constitue une discrimination indéniable et grave à leur égard parce qu’on leur instille l’idée qu’elles sont des êtres impurs, car facilement instrumentalisés par Satan pour détourner les hommes du chemin de la piété(2).
3. Le CSR soutient que « La personne qui couvre son corps par conviction religieuse veut exprimer sa profonde révérence envers la sainteté du divin et son indignité face à lui et aux êtres humains ». Bien que cette interprétation paraisse louable, l’enseignement traditionnel de l’islam donne un autre sens du voile. En effet, la femme musulmane ne se voile pas par révérence envers la sainteté du divin, mais en raison de sa crainte d’être tenue pour responsable de la chute morale des hommes. Le voile (plus ou moins intégral) n’est donc pas « un symbole extérieur de dévotion à Dieu » (une justification souvent utilisée dans le dialogue interreligieux), mais une pratique qui mène à la mise à l’écart des femmes et, sous la pression des musulmans radicaux, de filles de plus en plus jeunes.
4. Contrairement à ce que soutient le CSR, une telle pratique n’échappe pas au jugement extérieur. Il nous paraît, en effet, indéfendable d’invoquer la liberté de religion – un droit fondamental – pour placer au-dessus de toute critique une pratique discriminatoire qui porte atteinte à un autre droit fondamental de la femme, celui du respect de sa dignité. A la différence du CSR, nous tenons à soutenir les très nombreuses musulmanes, en Suisse et dans le monde, qui luttent pour leur dignité et leur liberté.
5. La paix religieuse que le CSR appelle de ses vœux est une composante essentielle de notre société. Nous soutenons néanmoins qu’elle comporte une exigence de vérité, car il n’y a pas de paix sociale sans vérité. Or, la vérité, c’est que demander à la femme de se voiler – quel que soit le type de voile utilisé – c’est soutenir l’idée qu’elle est une occasion de chutes et un instrument diabolique pour détourner les hommes du chemin de la piété. C’est, du même coup, accréditer la tendance à « diaboliser » la sexualité au lieu d’y voir la possibilité pour l’homme et la femme d’y faire l’apprentissage de l’amour en reconnaissant, dans le respect mutuel, leurs différences et leur égale dignité humaine.
6. Cette paix religieuse requiert aussi de respecter les lois et les coutumes du pays d’accueil. La Suisse est un pays démocratique, riche d’un long héritage chrétien et humaniste. Dans ce pays, femmes et hommes interagissent à visage découvert. Il est du devoir de tous, quelles que soient les convictions religieuses, de respecter cette pratique.
Pour ces quelques raisons et en dépit des faiblesses de cette initiative populaire, nous, signataires de ce communiqué, nous prononçons en sa faveur.
Fabienne Alfandari (juive) ;
Saïda Keller-Messahli (musulmane) ;
Alain René Arbez (prêtre catholique) ;
Shafique Keshavjee (pasteur réformé) ;
Christian Bibollet (évangélique)
(2) Un hadîth de Mahomet (dans L'Authentique de Muslim, Livre du mariage, hadîth 2) précise que « La femme apparaît et se retire sous la forme de Satan ». Afin que Satan ne puisse pas utiliser la femme pour semer la tentation et la dissension parmi les hommes, elle doit donc rester dans l’endroit le plus reculé de sa maison, et lorsqu’elle sort, elle doit se voiler entièrement. Comme le confirme un commentateur classique (Al-Tirmidhi) : « La femme qui ne se voile pas et exhibe ses charmes devient la complice de Satan, pour semer le mal et la tentation dans le cœur des hommes »
Adresse de contact du groupe de citoyens : votations@icloud.com.
Communiqué du Conseil suisse des religions (CSR) : https://www.ratderreligionen.ch/le-conseil-suisse-des-religions-dit-non-a-linterdiction-de-se-dissimuler-le-visage/?lang=fr#more-2185