La réflexion sur l’Eglise et sur son rôle est de plus en plus nourrie par l’idée d’Eglise « missionnelle ». C’est la conscience que le « terrain de mission » n’est pas qu’à l’étranger, qu’une Eglise peut et doit se considérer « en mission » même dans son lieu et pays d’origine. Même chez soi, il faut atteindre une ou des cultures grâce au message de l’Evangile. Dans cet article, je vais présenter comment le fait même d’être une Eglise composée de personnes différentes, mais unie en Christ, participe à la mission et au témoignage. Je le ferai en partant de la pensée de l’apôtre Paul.
Le mystère de l’Evangile
Dans sa lettre à l’Eglise d’Ephèse, Paul livre un peu de sa perspective sur son ministère et sa mission. Il parle d’un mystère ou d’un secret, mais un mystère qui n’est pas resté incompréhensible. Au contraire, ce mystère a été révélé. Son contenu est que les non-Juifs ont droit aux même promesses que les Juifs, et qu’ils forment avec eux un seul corps (Ep 3.6). Cela est nouveau ; auparavant, les Juifs et les Païens formaient des groupes strictement séparés, avec une manière de vivre différente, une communauté différente, et une bonne dose de mépris réciproque. De plus, la Loi de Moïse ordonnait la séparation des Juifs vis-à-vis des Païens.
Tout cela a changé par le sacrifice de Jésus-Christ ; c’est lui qui a détruit la haine entre Juifs et Païens, c’est lui qui en a fait un seul peuple, c’est lui qui a fourni un moyen de salut qui ne passe pas par la Loi et ses exigences, c’est lui qui permet à tous de se présenter devant Dieu. Jésus a simultanément réunis les Juifs et les Païens en un seul corps, et les a tous, ensemble, réconciliés avec Dieu (Ep 2.13-18). Pour Paul, la réconciliation avec Dieu et le dépassement de la séparation entre Juifs et Païens vont ensemble et forment un tout.
Autres tensions
La séparation entre les Juifs et les non-Juifs n’est probablement pas la question la plus pressante pour nous actuellement, quoiqu’on pourrait réfléchir à la manière dont les chrétiens d’origine juive sont accueillis dans nos Eglises aujourd’hui. Mais il y a dans notre époque, dans nos sociétés, d’autres divisions, d’autres lignes de fracture qui peuvent sembler indépassables. Les classes sociales courent le risque de se croiser sans jamais se rencontrer, les tensions entre les sexes remontent à la surface, les générations ne se comprennent plus entre elles, les cultures et ethnicités sont plus en contact que jamais, mais cela crée des tensions voire des replis. Là aussi, l’unité en Christ surpasse ces lignes de fracture : « Il n'y a plus ni Juif ni non-Juif, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ »( Ga 3.28, cf. Col 3.11).
Paul dit également que les autorités et puissances spirituelles connaissent la sagesse de Dieu grâce à l’existence de l’Eglise (Ep 3.10). Autrement dit, l’existence de l’Eglise comme communauté sert de témoignage pour toutes les puissances spirituelles. Ceux qui étaient séparés de manière rigide par le passé sont maintenant réunis, et cela manifeste le plan de Dieu devant les anges et devant les hommes. L’Eglise, nos Eglises doivent manifester comment l’unité en Christ dépasse les catégories qui ont cours dans le présent siècle. Dieu a donné aux chrétiens le ministère de la réconciliation, et les voit comme ambassadeurs pour appeler à être réconcilié avec Dieu (2 Co 5.16-21). Nous remplirons entre autres ce rôle en manifestant la réconciliation au sein même de nos communautés.
En ce sens, il n’y a pas de séparation entre l’identité de l’Eglise et sa mission. En étant le corps du Christ unis dans la diversité, l’Eglise est témoignage, est ambassade, est missionnaire. Lorsque l’Eglise rassemble par la foi en Christ ce qui semble irréconciliable aux yeux du monde, elle témoigne de manière éclatante de la réalité du salut.
Défi contemporain
Par ailleurs, l’unité dans la diversité offerte par l’Eglise est la réponse à l’un des défis brûlants de notre monde. Il y a dans notre époque, mais aussi au fond du cœur humain, une aspiration à l’unité de l’humanité, au dépassement des lignes de fractures, à la fin des rivalités et des hostilités. Le courant de pensée qui semblait le meilleur candidat pour répondre à cette aspiration est celui qui appelle à la tolérance et au relativisme. Les identités et les convictions sont relativisées, on considère qu’elles se valent toutes, et le plus important est de ne pas attaquer ou critiquer l’identité de l’autre. Mais ce courant est en crise. D’une part, il tend à diluer, voire dissoudre, les identités. Or nombreux sont ceux qui aspirent également à avoir une identité bien définie sur laquelle s’appuyer.
Cela génère, d’autre part, des contre-réactions identitaires et nationalistes, et le relativisme n’est pas équipé pour faire face à des convictions qui renient tout son idéal. Le relativisme doit défendre l’égale valeur de toutes les convictions, alors que certaines vomissent sa conception de la tolérance.
Jésus-Christ offre un autre projet d’unité, le rassemblement d’une « foule immense [...] de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue » (Ap 7.9). Mais ce n’est pas un rassemblement sans identité et sans conviction. C’est un peuple unis en Christ, un peuple transformé par l’Evangile.
Aujourd’hui, en étant l’Eglise et en annonçant l’Evangile, nous travaillons à rassembler et agrandir ce peuple. Nos Eglises manifestent l’avant goût de ce que cette humanité réunie sera. Nos communautés devraient faire rêver le monde à cette humanité réconciliée, et lui faire voir Jésus-Christ comme celui qui peut rassembler l’humanité, non en la nivelant par le bas, mais en l’appelant plus haut.
Nouvelles expressions de l’Eglise
Le lecteur aura compris : toute Eglise doit être missionnelle – est missionnelle par nature. Mais disons quelques mots sur un type particulier de nouvelles expressions de l’Eglise ; je pense aux Eglises qui cherchent à atteindre un groupe culturel bien défini (bikers, hackers, hipsters, jeunes mamans ou fans de coutures, etc).
Au vu de ce qui précède, ce type d’Eglise a un rôle important, et présente aussi un risque particulier. Notre société est de plus en plus fractionnée en sous-cultures, et le risque est grand que beaucoup de nos Eglises se trouvent au service d’une sous-culture évangélique, plutôt que de toucher toutes les cultures. Les nouvelles expressions sont une opportunité pour démontrer que chaque sous-culture peut être atteinte par l’Evangile, que l’Eglise existe pour toutes les tranches de la société. Mais le risque qui les accompagne est d’atomiser l’Eglise en fonction des groupes qu’elle veut atteindre. C’est que ces différentes Eglises reproduisent en version chrétienne toutes les divisions de la société et que le témoignage d’unité et de réconciliation de l’Eglise se perde.
En conséquence, une Eglise sainement missionnelle pourra viser un groupe précis, mais montrera toujours qu’en appartenant à l’Eglise, on appartient à un corps beaucoup plus vaste, beaucoup plus varié. Un groupe monocolore ne peut pas être l’Eglise tout seul. Nous avons besoins les uns des autres dans notre variété pour être vraiment l’Eglise qui manifeste la réconciliation. Notre mission d’Eglise se situe donc dans une tension : atteindre chaque culture, là où elle est, sans nier sa spécificité ; mais manifester tous ensemble que toutes les cultures peuvent être rassemblées par l’appartenance à Jésus-Christ, par la réconciliation de chacun avec notre Créateur. Nous pouvons relever ce défi, en fixant les yeux sur Jésus-Christ, notre sauveur qui nous réunis !
Jean-René Moret, pasteur dans l’Eglise évangélique de Cologny (FREE)