Le Christ s’est arrêté au Mormont

vendredi 18 décembre 2020

La première « zone à défendre » (ZAD) de Suisse occupe la colline du Mormont, sur les communes vaudoises de La Sarraz et d’Eclépens, pour empêcher l’entreprise de ciment Holcim de s’étendre. Luc Badoux, pasteur du lieu, est allé à la rencontre des militants comme aussi la diacre Lyne Gasser. Un Noël chrétien au Mormont ? Reportage diffusé le 20 décembre 2020 sur RTS La Première.

 

Face aux palettes en bois qui marquent l’entrée de la ZAD, c’est d’abord la boue qui capte le regard. Et qui rend le pied pourtant bien chaussé hésitant. La première cahute du lieu est réhaussée d’une grande pancarte colorée avec le mot « Accueil ». Des yourtes et quelques tentes plantées dans la neige donnent ensuite le ton des conditions rudes que les militants du Mormont vivent au quotidien. « Vous voulez un café ? » Les premiers mots de ce zadiste font du bien : il fait froid. Ce mardi de décembre, le pasteur Luc Badoux et la diacre Lyne Gasser ont fait le chemin jusque-là pour saluer et prendre des nouvelles. Ils empruntent un petit chemin fait de planches et retrouvent des têtes connues près de la bâtisse en dur quelques dizaines de mètres plus loin. Deux chiens enfoncent leurs pattes dans la gadoue. « C’est une vraie vie communautaire, ici, commente celui qui demande à être appelé Esteban. On fait à manger dans d’énormes poêles, sur de très grands réchauds. » Devant la cuisine en bar et en guise de mesure de précaution anti-COVID, des casiers séparent la vaisselle de chacun.

Le pot de terre contre le pot de fer

A ses côtés, une jeune femme dit s’appeler Sumatrana être là avant tout pour défendre le lieu. La notion environnementale, sa faune et sa flore, reviennent d’ailleurs en boucles dans la bouche de plusieurs de ces jeunes. Qui indiquent aussi vivre là des valeurs « d’égalité, d’horizontalité, de partage, de bienveillance ». Le soir même, un atelier de communication non violente se tiendra sur le site, déclarent-ils. Et puis il y a une visite improbable : un couple de promeneurs d’une soixantaine d’années, elle avec des cannes, avance tout doucement en direction du groupe. Il explique être venu tout exprès de Lausanne d’abord pour leur amener du bois. « Et puis pour les remercier de faire ça. Parce que ce serait sinon des zones sacrifiées à l’industrie, au profit. » Après l’homme, la femme ajoute : « C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer. Alors si on peut faire en sorte que l’argile se durcisse et puisse lutter de façon plus équitable, ce serait tout aussi bien, je trouve. »

Linge propre, douche et prière

Deuxième lieu de visite de la journée : la cuisine de Lyne, la diacre, à La Sarraz. Ou plutôt d’abord sa buanderie, où machine à laver le linge et séchoir tournent à fond : Esteban est là. Il explique : « Complètement par hasard, j’ai rencontré Lyne dans un café, où elle m’a invité ensuite à manger chez elle. Et ça a débouché sur une douche de temps en temps et sur du linge propre ! Une aide dont d’autres que moi bénéficient également. »  Cette femme engagée dans les milieux de l’asile parle de l’accueil comme d’une valeur qui lui tient particulièrement à cœur. « Cela me rejoint par rapport à une parole du Christ qui dit `Accueillez-vous les uns les autres` ». La conversation sur le spirituel a toutefois surpris Esteban. « Mais en fait, cela tombe pile poil à un moment où je me pose beaucoup de questions. Et nos partages ont bien assaini mon rapport à l’Eglise. J’ai vécu cela comme une porte ouverte sur une foi vécue, incarnée, comme la prière avant le repas. » Les deux se regardent. Puis Lyne d’ajouter avoir été touchée par ces moments de prière qu’ils ont partagés. « Moi, ce qui m’a beaucoup touchée, c’est qu’après avoir prié avec toi, tu m’as demandé si tu pouvais aussi le faire. C’était la première fois que j’ai vu une personne en recherche de Dieu oser prier ainsi à haute voix. » Esteban sourit. « C’était un moment fort. Complètement. Prier Dieu, c’était comme parler à un ami. » A-t-il depuis répété l’exercice ? « Dans la dynamique de la ZAD, ce n’est pas ce qui se passe, élude-t-il. Mais on est très généreux les uns envers les autres. Et puis on s’écoute et on fait attention à nos différences. »

Noël à la ZAD ?

A quelques jours du 25 décembre, la diacre confie encore avoir proposé avec Luc Badoux de vivre un Noël avec ceux de la ZAD qui le désiraient. « On ne sait pas encore sous quelle forme ni où exactement. Parce que l’Eglise n’est pas cantonnée à un bâtiment. Elle va bien au-delà. Et parce que Noël, ce n’est pas qu’une fête avec sapin et Père Noël. Il y a un autre sens profond que chacun est invité à découvrir. »

Gabrielle Desarzens

  • Encadré 1:

    Luc Badoux a le souci d’être le pasteur de tous. C’est ainsi qu’il est venu à la rencontre des zadistes qui se sont installés sur le territoire de sa paroisse, même s’il ne partage pas leur position ou leur combat.

    Luc Badoux, qu’est-ce qui vous plaît, à la ZAD ?

    • Ce qui me plaît, c’est d’avoir pu aller à la rencontre des gens. Et moi qui cherche à m’inspirer de la vie de Jésus, je le vois faire le même mouvement. Ce qui me frappe, c’est l’intensité de la vie communautaire des zadistes. Et je reconnais qu’ils ont le courage de sortir de leur zone de confort : il fait froid, on est dans la boue… mais ils vivent quelque chose de qualité. Comme chrétien, je vois Jésus qui viendrait un bout à la ZAD, qui viendrait à Eclépens… j’espère qu’il viendrait au culte ! (Il rit)

    Ce que vivent les zadistes vous inspire-t-il dans votre foi ?

    • Oui, dans le sens qu’ils sont prêts à faire des concessions pour vivre ce en quoi ils croient. Et ça, c’est beau ! Dans nos paroisses bien établies, on a sans doute besoin de trouver une intensité de partage similaire, mais ce n’est pas facile, car notre vivre-ensemble s’inscrit dans la longue durée. Cela dit, je me réjouis des contacts qu’on a eus avec ces jeunes du Mormont, que certains soient venus au culte ou à des moments d’échange que j’ai institués avec la paroisse.

    Que sont-ils venus chercher dans l’Eglise, selon vous ?

    • Un peu quelque chose de Dieu, avec une belle ouverture. Ils sont venus chercher ce qu’on peut comprendre et dire de Dieu dans la foi chrétienne, vivre un échange. Et ces moments ont été très riches avec les paroissiens présents. Maintenant, je pense qu’ils n’ont pas le monopole de l’écologie et du bien. J’ai une exigence de non-violence absolue, d’aucun sabotage, ce qui me semble des préalables indispensables à un dialogue fructueux et un enrichissement mutuel. Il faut à mon sens respecter l’Etat de droit, fondement de la vie en société.

    G.D.

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022
  • Anaël Bussy, ébéniste, fabrique du matériel pour le culte

    Anaël Bussy, ébéniste, fabrique du matériel pour le culte

    Anaël Bussy vient de démarrer comme ébéniste indépendant à Chevilly, près de La Sarraz. Parmi ses premières réalisations, des plateaux en bois, destinés à la distribution de la Sainte-Cène.

    vendredi 20 mai 2022

eglisesfree.ch

LAFREE.INFO

  • Halloween: Cinq façons d'accueillir ceux qui sonnent à votre porte

    Mar 29 octobre 2024

    Le  31 octobre, jour d'Halloween, les chrétiens peuvent envisager plusieurs actions s'alignant avec leur foi. Voici cinq suggestions pour accueillir spécifiquement ceux qui viendraient sonner à votre porte.

  • FREE COLLEGE journées: «Revitaliser une Eglise» avec le pasteur et implanteur David Brown

    Lun 28 octobre 2024

    En Suisse romande, nombre d’Eglises évangéliques stagnent ou décroissent. Dans un livre récent, David Brown propose des pistes pour revitaliser une Eglise locale. Le FREE COLLEGE met sur pied le 25 janvier une journée avec cet auteur pour découvrir son « Guide pratique de revitalisation ».

  • « DieuTV atteint un demi-million de personnes en francophonie »

    Ven 25 octobre 2024

    L'année 2024 marque les 40 ans d’émissions chrétiennes produites par Deltavision-PMC. Le lancement de DieuTV, en 2007, a permis d’étendre la diffusion à toute la francophonie. Et de rejoindre avec la Bonne Nouvelle des personnes n’ayant pas de contact avec les Eglises.

  • La prière de consentement

    Ven 25 octobre 2024

    La prière de consentement nous permet d’accueillir la volonté de Dieu, même lorsque celle-ci ne correspond pas à notre propre volonté. Elle nous apprend à aimer Dieu pour qui il est, plus que pour ce qu'il donne. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Églises évangéliques.]

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !